PROCOPE, Guerres Perses, I.ii (tr. G. Proulx,
revue et corrigée par G. Greatrex)
Lorsque l’empereur romain Arcadius fut sur le point de
mourir à Byzance (son fils Théodose n’étant pas encore sevré), il éprouva une
grande incertitude à la fois pour son enfant et pour le gouvernement, ne
sachant pas comment il pourrait subvenir adéquatement aux deux. (2) L’idée lui
vint que si, d’un côté, il fournissait à Théodose un associé aux commandes, il
ferait périr son propre fils en plaçant face à lui un ennemi déjà pourvu du
pouvoir royal. (3) D’un autre côté, s’il le laissait seul au commandement,
plusieurs tenteraient d’usurper le trône, en profitant de la solitude de
l’enfant, comme on s’y attendrait ces hommes se soulèveraient sans peine et, se
faisant tyrans, ils détruiraient Théodose car ce dernier n’aurait aucun parent
à Byzance pour être son tuteur. (4) L’empereur ne s’attendait pas non plus à ce
que son oncle Honorius puisse lui venir en aide, d’autant plus que les affaires
en Italie étaient déjà en mauvais état. (5) De plus, les affaires touchant les
Mèdes le troublaient pas moins [que celles de l’Italie] et il craignait que ces
Barbares ne se soulèvent contre le jeune empereur et infligent des coups
intolérables aux Romains. (6) Lorsque Arcadius se trouva dans cette situation
difficile (et bien qu’il ne s’était certes pas montré plus avisé en d’autres
domaines), il conçut un plan apte à protéger opportunément du danger autant son
enfant que son trône, plan qu’il élabora soit en s’entretenant avec de sages hommes,
de ceux qui siègent habituellement en grand nombre auprès du roi, ou suite à
une inspiration divine qui lui était venue. (7) Lorsqu’il régla les termes de
son testament, il désigna donc l’enfant comme successeur au commandement, mais
manda comme tuteur au-dessus de lui le roi perse Isdigerdès, qu’il pressa
vivement, dans son testament, de sauvegarder le trône pour Théodose, de toutes
ses forces et de toute sa prévoyance.
(8) Ayant ainsi réglé ses affaires privées et celles
du gouvernement, Arcadius moura. De son côté, lorsqu’il prit connaissance des
écrits qui lui étaient destinés, le roi perse Isdigerdès, ayant déjà par le
passé fait preuve d’une grandeur d’âme qui lui avait valu la plus grande
renommée, se montra immédiatement d’une vertu digne d’être admirée et
mentionnée. (9) Ainsi, pour respecter les instructions d’Arcadius, il continua
à observer une paix profonde avec les Romains tout le temps [de son règne] et
conserva le trône pour Théodose. (10) À vrai dire, il envoya sur-le-champ une
lettre au Sénat romain, expliquant qu’il ne refusait pas d’être le gardien du
roi Théodose et qu’il menacerait de guerre quiconque entreprendrait de monter
un complot contre lui. (11) Lorsque Théodose devint un homme et atteignit la
force de l’âge, et qu’Isdigerdès, emporté par la maladie, quitta le monde des
hommes, le roi perse Vararanès envahit le territoire romain avec une grande
armée (sans toutefois causer de dommage), mais retourna chez lui sans résultat
de la façon suivante : (12) Il arriva que le roi Théodose avait envoyé
Anatolius, le général romain d’Orient, seul délégué en Perse. Lorsque ce
dernier fut très près de l’armée mède, il sauta de son cheval et, toujours
seul, poursuivit sa marche à pied vers Vararanès. (13) Quand Vararanès
l’aperçut, il demanda à ses proches qui s’avançait alors. Ils répondirent qu’il
s’agissait du général des Romains. (14) Sur ce, le roi fut tellement frappé par
cette extraordinaire dignité, qu’il fit demi-tour lui-même avec son cheval et
le peuple perse au grand complet le suivit. (15) Revenu dans sa région, il
traita l’envoyé avec une grande humanité et consentit ainsi à la paix, comme le
lui réclamait Anatolius, à la condition pourtant qu’aucun des deux camps ne
construise, sur son propre territoire, de nouvelles fortifications à la
frontière avec le pays voisin. Ceci étant accompli, les deux souverains
continuèrent de s’occuper de leurs affaires respectives, comme il leur semblait
le mieux.
PROCOPE, Guerres perses I.vii-ix (tr. G.
Proulx, revue et corrigée par G. Greatrex)
(1) Peu après, Cabadès devait de l’argent au roi des
Ephthalites mais, étant incapable d’acquitter sa dette, il demanda à l’empereur
romain Anastase s’il lui prêterait l’argent [nécessaire]. S’étant entretenu
(avec certains de ses proches), Anastase enquêta s’il devrait accomplir les
choses (que le roi lui demanda). (2) Mais ceux-ci ne lui permirent pas
d’accepter le contrat, en effet (d’après eux) il n’était pas avantageux de
consolider l’amitié entre leurs ennemis et les Ephthalites au moyen de leur argent,
et il valait bien mieux, pour les Romains, qu’ils soient aux prises les uns
avec les autres autant que possible. (3) Ainsi, ce fut sans cause que Cabadès
entreprit une expédition contre les Romains. Premièrement, annonçant lui-même
sa venue, il marcha contre le territoire arménien et, ayant pillé une grande
partie du pays par une incursion très rapide, il arriva donc à l’improviste à
la ville d’Amida en Mésopotamie et, quoiqu’il se présentât pendant la saison
d’hiver, il mit le siège devant la ville. (4) De leur côté, les gens d’Amida,
qui se trouvaient en période de paix et de prospérité, ne disposaient d’aucun
soldat et n’avaient entrepris aucun autres préparatifs [militaires]. Toutefois,
ils ne consentirent d’aucune façon à passer du côté de l’ennemi et résistèrent,
contre toute attente, à tous les dangers et toutes les souffrances.
(5) Il y avait chez les Syriens un homme juste, nommé
Jacobus, qui s’exerçait de façon scrupuleuse aux affaires religieuses.
Plusieurs temps auparavant, cet homme s’était confiné dans un lieu appelé
Endielon, situé à un jour d’Amida, pour pouvoir s’adonner à la piété de façon
plus sécuritaire. (6) Les gens de cet endroit, l’assistant dans son désir,
érigèrent autour de lui des barreaux de bois, non pas liés ensemble, mais
plutôt enfoncés séparément les uns des autres dans le sol, de façon à ce que
ceux qui s’approchaient puissent le voir pour s’entretenir avec lui. (7) Ils
lui construisirent aussi un petit toit, peu élevé au-dessus de lui, mais assez
grand pour le protéger de la pluie et de la neige. À cet endroit, l’homme
depuis longtemps demeurait assis, ne cédant absolument pas à la chaleur ni au
froid, et se nourrissait de quelques grains, toutefois, il avait coutume de
s’en alimenter non pas à chaque jour, mais à de longs intervalles de temps. (8)
Ainsi, certains des Ephthalites qui parcouraient à ce moment la région virent
ce Jacobus. Désirant lui tirer dessus, ils tendirent leur arc avec grand
empressement, mais leurs mains demeurèrent complètement immobiles et ils ne
pouvaient plus manier leur arc. (9) Lorsque ceci fut ébruité à travers l’armée
et arriva jusqu’à Cabadès, celui-ci voulu constater cette affaire de ses
propres yeux. En la voyant, il fut saisi (de même que les Perses qui étaient
présents avec lui) d’une grande stupeur et supplia Jacobus de renoncer à son
grief contre ces Barbares. D’une seule parole, Jacobus leur pardonna et délivra
ainsi les hommes de leur détresse. (10) Ensuite, Cabadès pressa l’homme de lui
demander ce qu’il désirait (en présumant qu’il lui demanderait beaucoup
d’argent) et lui dit, avec une audace juvénile, qu’il ne lui refuserait rien.
(11) Jacobus demanda de lui accorder tous les gens qui viendraient chez lui
chercher refuge pendant cette guerre. Cabadès lui accorda sa prière et lui fit
donner une garantie écrite de sa parole. Ainsi, de partout, beaucoup de gens
affluèrent à cet endroit et furent
sauvés (ce fait devint célèbre). C’est donc de cette façon que tout ceci se
déroula.
(12) Cabadès, en assiégeant Amida, utilisa sur tous les
côtés de l’enceinte la machine de guerre appelée krios [bélier], mais les
Amidens en détournèrent la tête constamment en employant des poutres de manière
transversale. Il ne s’arrêta pas, jusqu’à ce qu’il constatât que la muraille
demeurait imprenable par ce moyen. (13) Plusieurs fois il se rua contre
l’enceinte, mais il n’arriva pas à en détruire une partie, ni même à
l’ébranler, car la construction avait été érigée si solidement par les
bâtisseurs d’antan. (14) Ayant échoué, Cabadès fit donc construire une colline
artificielle, élevée comme un rempart contre la ville, dont la hauteur
surpassait de beaucoup celle de la muraille. De leur côté, les assiégés
entreprirent de faire un tunnel souterrain de l’intérieur des remparts jusque
sous la colline et, de là, de façon clandestine, ils exportèrent de la terre
jusqu’à ce qu’ils aient creusé le plus gros de l’intérieur de la colline.
Cependant, l’extérieur conservait l’aspect qu’elle avait déjà et ne permettait
pas de percevoir ce qui avait été accompli. (15) Ainsi, de nombreux Perses
(comme s’ils montaient une structure sécuritaire) se postèrent au sommet avec
l’intention de tirer sur la tête de ceux à l’intérieur des fortifications. Il arriva donc que la colline, submergée
sous le poids de la foule qui s’était attroupée rapidement, s’écroula
soudainement, causant la mort de presque tous ceux [qui s’y trouvaient]. (16)
Cabadès, ne sachant comment réagir aux événements, mit fin au siège de la ville
et enjoignit son armée de se retirer dès le lendemain. (17) À ce moment, les
assiégés, n’ayant aucune crainte, se moquaient des Barbares en riant depuis les
fortifications. (18) De plus, quelques courtisanes retirèrent leurs vêtements
sans aucune convenance et exhibèrent à Cabadès, qui se tenait tout près, les
parties du corps féminin qui ne doivent pas être observées par un homme. (19)
Les mages, qui avaient tout vu, se présentèrent au roi et voulurent empêcher la
retraite en soutenant, pour interpréter ce qui était arrivé, que les Amidiens
allaient bientôt révéler toutes leurs affaires intimes et secrètes. Ainsi,
l’armée perse demeura sur place.
(20) Peu de jours après, un des Perses aperçut tout
près d’une tour (de l’enceinte) l’issue d’un ancien conduit souterrain,
camouflée sans aucune sécurité avec de petites pierres, qui n’étaient pas non
plus très nombreuses. (21) La nuit venue, il alla seul à cet endroit pour
tester le passage et se rendit à l’intérieur de l’enceinte. Dès que le jour
arriva, il exposa en détail toute l’affaire à Cabadès. La nuit d’après, voulant
découvrir lui-même ce qui avait été fait, et ayant préparé des échelles,
Cabadès se rendit sur place avec quelques autres hommes. La bonne fortune lui
vint en aide de la façon suivante : (22) Il se trouvait que la tour, celle
qui était la plus près du passage souterrain, avait échoué par le sort à la
garde des plus rigoureux des Chrétiens, ceux que l’on nomme, selon la coutume,
les moines. Il arriva que ceux-ci tenaient ce jour-là une fête annuelle en
l’honneur de Dieu. (23) Lorsque la nuit tomba, ils éprouvèrent tous une grande
fatigue pour s’être adonnés au rassemblement et, se trouvant rassasiés beaucoup
plus qu’à l’habitude par la nourriture et la boisson, ils tombèrent dans un
sommeil agréable et doux, ne s’apercevant ainsi absolument pas de ce qui se
préparait. (24) Les Perses entrèrent donc, peu à la fois, à l’intérieur de
l’enceinte par le passage souterrain, ils montèrent la tour et, y découvrant
les moines encore endormis, ils les tuèrent tous. (25) Lorsque Cabadès en fut
informé, il approcha ses échelles contre le mur près de la tour. (26) À ce
moment, il faisait déjà jour. Ceux des Amidens qui montaient la garde dans la
tour adjacente comprirent le méfait et accoururent là-bas à toute vitesse. (27) Pour un long moment, l’un et l’autre
[côtés] se bousculèrent et, déjà, les Amidens obtinrent l’avantage sur les
autres, car ils en tuèrent plusieurs en renversant ceux qui étaient montés dans
les échelles et il s’en fallut de peu qu’ils écartèrent le danger. (28) Mais
Cabadès lui-même, dégainant son sabre, s’élança aux échelles ne les laissant
pas abandonner en faisant continuellement peur aux Perses. La mort fut donc, à
partir de ce moment, le châtiment de ceux qui osaient revenir sur leurs pas.
(29) De cette façon, les Perses devinrent supérieurs à leurs adversaires dans
la bataille, en raison de leur nombre beaucoup plus élevé, et la cité fut prise
par la force 80 jours après le début du siège. (30) S’ensuivit le massacre de
nombreux Amidens, jusqu’à ce qu’un vieil Amiden, aussi prêtre, se présente devant
Cabadès, qui avançait à cheval à travers la ville, et lui dise qu’il n’était
pas digne d’un roi de massacrer des captifs. (31) Alors Cabadès, porté par la
passion, répondit : «Mais pourquoi avez-vous décidé de vous battre contre
moi?». Prenant la parole, le vieil homme dit : «Parce que Dieu désirait
vous livrer Amida, non pas à cause de notre propre jugement, mais en raison de
votre vertu». Cabadès, réjoui par ce discours, ne permit à l’avenir aucun
massacre, mais il ordonna aux Perses de piller les biens et de réduire en
esclavage les survivants, et il leur manda de lui réserver, parmi ceux-ci, les
plus estimés.
(33) Un peu plus tard, Cabadès laissa comme garnison à
cet endroit un millier d’hommes, placés sous la direction de Glonès, un homme
perse, de même que quelques pitoyables gens d’Amida qui étaient destinés à
servir les besoins quotidiens des Perses. Lui-même, avec tout le reste de
l’armée, rentra chez lui, emmenant les prisonniers. (34) Il fit preuve d’une
humanité digne d’un roi dans son traitement des prisonniers car, peu de temps
après, il les laissa rentrer chez eux et déclara qu’ils s’étaient enfuis. (35)
Le roi romain Anastase accomplit des gestes à la hauteur de leur courage :
il cessa alors entièrement [de percevoir] les impôts annuels de la ville pour
une période de sept ans, et il honora autant la communauté que chacun en
particulier avec plusieurs bonnes choses, de sorte que tous arrivèrent à
oublier ce qu’il s’était passé. Mais ceci arriva plus tard, dans un temps
postérieur.
I.viii
(1) À ce moment, l’empereur Anastase, apprenant
qu’Amida était assiégée, envoya en vitesse une armée suffisante. Un dirigeant
se trouvait à la tête de chaque symmoria [division] et quatre généraux étaient
placés tout au-dessus : Aréobindus, beau-fils d’Olybrius (qui avait été
empereur de la région de l’Ouest peu de temps auparavant), qui avait obtenu le
titre de maître des milices de l’Est; (2) Céler, le commandant des unités du
palais (que les Romains dénommaient magiste); de plus, il y avait les maîtres
des milices à Byzance : Patricius, le Phrygien, et Hypatius, le neveu de
l’empereur. Tels étaient donc les quatre généraux. (3) Étaient aussi associés à
ces derniers, Justin, celui qui devint empereur plus tard, à la mort
d’Anastase, et Patriciolus avec son fils Vitalien, qui organisa une révolte
contre l’empereur Anastase et se déclara empereur. Il y avait aussi Pharesmane,
natif de Colchide, très doué et se distinguant dans le domaine de la guerre, de
même que Godidisklus et Bessas, des hommes Goths, de ceux qui n’avaient pas
suivi Théodoric lorsqu’il quittait la Thrace pour l’Italie, et qui étaient tous
deux de naissance exceptionnelle et avaient de l’expérience dans les affaires
de la guerre. Plusieurs autres nobles les accompagnaient. (4) On dirait que
jamais, ni par le passé, ni dans l’avenir, une telle armée ne s’était réunie
chez les Romains contre les Perses. Cependant, tous ces hommes ne s’étaient pas
rassemblés au même endroit et ils ne formaient pas une seule armée, mais chacun
des généraux menait contre l’ennemi les soldats sous sa commande. (5) Apion, un
Égyptien, fut nommé au poste de gérant des finances de l’armée. Cet homme
illustre parmi les Patriciens, et qui se montrait comme étant très efficace,
fut proclamé par écrit par l’empereur comme associé au trône, de sorte qu’il
puisse librement administrer les finances comme il le voulait.
Ainsi, l’armée prit du temps à se rassembler et se mit
en route lentement. Pour cette raison, elle ne rencontra pas les Barbares en
territoire romain car les Perses, ayant fait leur approche par une invasion
inattendue, se retirèrent immédiatement dans leur pays avec tout le butin. (7)
Personne, parmi les généraux, ne consentait pour le moment à mettre le siège à
Amida, car ils venaient d’apprendre que plusieurs vivres nécessaires avaient
été importés pour eux, mais ils avaient tous très hâte d’envahir le territoire
ennemi. (8) Pourtant, ils ne s’en allèrent pas en un seul groupe commun contre
les Barbares, mais campèrent séparément les uns des autres durant leur
invasion. Apprenant cela, Cabadès (qui, par hasard, se trouvait tout près) alla
à toute vitesse les rencontrer à la frontière romaine. (9) Toutefois, les
Romains n’avaient pas encore été informés que Cabadès se dirigeait contre eux
avec toute son armée et croyaient qu’une petite armée perse se trouvait à cet
endroit. (10) Ainsi, les troupes qui accompagnaient Aréobindus établirent leur
camp à un endroit appelé Arzamon, situé à deux jours de route de la ville de
Constantia, et les troupes de Patricius et Hypatius campèrent à un endroit
appelé Siphrios, se trouvant à une distance d’au moins 350 stades d’Amida.
Céler, de son côté, n’était pas encore arrivé à cet endroit.
(11) Lorsque Aréobindus s’aperçut que Cabadès
s’approchait d’eux avec toute son armée, il abandonna le camp et prit la fuite
avec tous ceux qui le suivaient, et partit en courant pour Constantia. (12) Peu
de temps après, les ennemis arrivèrent et saisirent le camp, déserté par les
hommes, et tout l’argent. De là, ils avancèrent rapidement pour affronter
l’autre armée romaine. (13) Les troupes de Patricius et Hypatius rencontrèrent
800 Ephtalites, qui allaient en avant de l’armée perse, et les tuèrent presque
tous. (14) N’ayant appris rien concernant Cabadès et son armée et se croyant
les vainqueurs, les Romains menèrent leurs habitudes de vie sans trop se
méfier. Ainsi, ils se libérèrent de leurs armes et se préparèrent pour
déjeuner, car c’était là le moment approprié de la journée. (15) Un cours d’eau
coulait à cet endroit et les Romains entreprirent d’y nettoyer les morceaux de
viande qu’ils projetaient de manger. (16) Quelques-uns d’entre eux, accablés
par la chaleur intense, décidèrent de se baigner. Or, ceci entraîna un profond
tumulte dans l’eau de la rivière en aval. Au même moment, Cabadès, ayant appris
ce qui était advenu des Ephthalites, se dirigea contre l’ennemi rapidement.
(17) Remarquant que l’eau de la rivière était brouillée, il déduit ce qui
s’était produit et comprit que les adversaires n’étaient pas préparés.
Immédiatement, il ordonna donc [à ses troupes] de s’avancer contre eux de
toute leur force. Ils lancèrent leur attaque immédiatement contre les Romains
qui mangeaient et étaient désarmés. (18) Les Romains ne supportèrent pas
l’assaut et ne songèrent point à résister, mais chacun s’enfuit là où il
pouvait. Ceux qui furent saisis moururent, tandis que ceux qui s’élancèrent
dans la montagne (qui se dressait là), se jetèrent du haut du précipice dans la
peur et beaucoup de confusion. (19) On affirme que personne ne s’est échappé de
ce lieu, mais Patricius et Hypatius furent capables de s’enfuir au tout début
de l’attaque. Ensuite, comme des Huns ennemis faisaient à ce moment irruption
sur son territoire, Cabadès s’en retourna vers la maison avec toute son armée
et conduit une longue guerre contre ce peuple du côté nord du pays. (20)
L’autre armée romaine s’en retourna pendant ce temps, sans toutefois avoir
accompli une action digne d’être mentionnée, car personne n’occupait la
fonction de commandant en chef de guerre. Plutôt, les généraux étant tous égaux
par rapport aux autres, ils s’opposaient les uns les autres dans leurs
jugements, et n’arrivaient donc d’aucune manière à faire ce qu’ils voulaient.
(21) De son côté, Céler, avec ceux qui l’accompagnaient, traversa le fleuve Nymphius
et mena une attaque contre l’Arzanène. (22) Ce fleuve se trouve tout près de
Martyropolis, à environ 300 stades d’Amida. Les troupes demeurèrent très peu de
temps dans cette région et rentrèrent chez eux peu après; cette invasion fut
réalisée en peu de temps.
I.ix
(1) Ensuite, Aréobindus fut mandé pour se rendre à
l’empereur à Byzance, pendant que le reste [des généraux] arrivaient à Amida
durant la saison d’hiver et y établissaient un siège. Ils furent incapables de
s’emparer de l’endroit par la force, bien qu’ils attaquèrent à plusieurs
reprises, mais arrivèrent à leurs fins au moyen de la famine car tous les
vivres vinrent à manquer aux assiégés. (2) Cependant, les généraux ne savaient
rien de la pénurie dont souffrait l’ennemi mais, observant que les soldats
étaient accablés par le siège et par l’hiver et croyant que l’armée perse se
dirigerait avant longtemps contre eux, s’empressaient de quitter l’endroit par
tous les moyens. (3) Les Perses, de leur côté, ne sachant pas ce qui
adviendrait [d’eux] en de telles situations terribles, dissimulèrent
minutieusement leur manque de ressources, faisant croire qu’ils disposaient de
toutes les choses nécessaires en abondance, car ils voulaient retourner à la
maison avec une renommée glorieuse. (4) En discutant, les deux partis
s’entendirent donc pour que les Perses restituent la ville aux Romains en
échange de 1000 livres d’or. Les deux groupes, satisfaits, mirent à exécution
ce qui avait été convenu. C’est le fils de Glonès qui reçut l’argent et livra Amida
aux Romains car Glonès, à ce moment, avait déjà péri de la façon suivante.
(5) Au moment où les Romains n’avaient pas encore
investi la ville d’Amida, mais se trouvaient non loin, un paysan, qui avait
l’habitude de se rendre à la ville en cachette avec des oiseaux, du pain et
plusieurs produits de saison qu’il donnait à Glonès pour un prix élevé, alla
voir le général Patricius et promit de lui livrer Glonès avec 200 Perses, dans
l’espoir de retirer une récompense de sa part en retour. (6) Ce dernier lui
promit de s’engager à lui donner tout ce qu’il voulait et renvoya l’homme.
Puis, ayant vêtu un affreux manteau tout déchiré et faisant semblant d’avoir
pleuré, ce dernier entra dans la ville. (7) Il se rendit auprès de Glonès et,
s’arrachant les cheveux, il dit :
«Maître, il se trouve que je venais justement vous
apporter plein de bonnes choses de ma région, lorsque je rencontrai sur mon
chemin des soldats romains (car ils arpentent cette région en petits groupes
[séparés] et font violence aux misérables paysans) qui m’infligèrent des coups
insupportables et, avant de s’en aller, me dépouillèrent de tout, les brigands!
(eux, dont l’ancienne coutume est de craindre les Perses et de violenter les
agriculteurs). (8) Mais, Maître, il y a un moyen de vous défendre, ainsi que
moi et les Perses. Si vous allez chasser aux abords de la ville, vous trouverez
du gibier non négligeable et les rôdeurs maudits arriveront à quatre ou cinq
pour vous voler.»
(9) Il parla ainsi. Glonès fut convaincu et demanda à
l’homme combien de Perses il estimait nécessaire pour exécuter l’action. (10)
Il répondit qu’environ 50 hommes suffiraient car ils ne rencontreraient jamais
plus de cinq [soldats] sur leur chemin, mais qu’il ne serait pas plus mal
d’emmener 100 à la manœuvre au cas où quelque chose d’inattendu se produit. Et,
le double serait encore mieux, car il n’arrive aucun mal à un homme de l’unité
supplémentaire. (11) Ayant choisi 200 cavaliers, Glonès ordonna donc à l’homme
de les guider. (12) Celui-ci soutint qu’il valait mieux qu’il soit envoyé en
premier pour observer et rapporter s’il voyait que les Romains circulaient
toujours à cet endroit, et pour que les Perses puissent ainsi faire leur sortie
au moment opportun. Puisque ses propos parurent à Glonès être convaincants, il
fut envoyé [en avant] à l’ordre de celui-ci. (13) Se présentant alors au
général Patricius, il expliqua tout et ce dernier envoya avec lui deux de ses
gardes du corps et 1000 soldats. (14) Il cacha les troupes dans les vallons et
endroits boisés d’un village nommé Thilasamon, situé à 40 stades d’Amida, il
leur ordonna de rester dans ces embuscades et partit en courant vers la ville.
(15) Il dit ensuite à Glonès que le
gibier était prêt et le dirigea, avec les 200 cavaliers, dans le piège des
ennemis. Lorsqu’ils traversèrent l’endroit où les Romains avaient dressé
d’avance leur embuscade et demeuraient cachés à l’insu de Glonès et de tous les
Perses, il [l’homme] fit lever les Romains hors de l’embuscade et leur désigna
les ennemis. (16) Lorsque les Perses se rendirent compte qu’ils s’avançaient
contre eux, ils furent frappés de stupeur par la rapidité [de la manœuvre] et
éprouvèrent une grande incertitude. Ils ne purent ni s’échapper vers l’arrière
(leurs adversaires se trouvant dans leur dos) ni s’enfuir quelque part d’autre
dans un pays hostile. (17) Ils se rangèrent donc pour le combat tant bien que
mal et pour veiller à se défendre contre l’ennemi, mais étant de beaucoup
inférieurs en nombre, ils furent vaincus et, avec Glonès, ils furent tous détruits.
(18) Lorsque le fils de Glonès apprit cela, il en fut très affligé et bouillait
de colère parce qu’il n’avait pu défendre son père. Il fit brûler le sanctuaire
de Symeon, un saint homme, où avait demeuré Glonès. (19) Cependant, ni Glonès,
ni Cabadès, ni même aucun autre des Perses ne contempla la destruction ou
l’effacement par quelconque moyen d’une autre bâtisse à Amida ou à l’extérieur
de la ville. Mais je reviens au sujet dont je parlais précédemment.
(20) Ainsi, ayant donné l’argent, les Romains
récupérèrent Amida deux ans après qu’elle fut tombée aux mains de l’ennemi.
Lorsqu’ils se trouvèrent dans la ville, ils se rendirent compte de leur propre
négligence et de la dureté du régime de vie auquel les Perses étaient soumis.
(21) En calculant la quantité de nourriture laissée sur place et la foule de
Barbares qui avaient quitté l’endroit, ils découvrirent dans la ville des
ressources pour environ sept jours, quoique Glonès et son fils accordaient
pendant longtemps aux Perses de la nourriture en quantité inférieure à leurs
besoins. (22) Les Romains qui étaient restés avec eux dans la ville, comme je
l’avais déclaré plus tôt, apprirent à ne rien pourvoir [aux Perses] depuis que
les ennemis avaient établi le siège. Au début, ils s’alimentaient de nourriture
inusitée, allant se procurer tout ce qui est défendu par les lois. Enfin, ils
en finirent par se manger les uns les autres. (23) Les généraux comprirent
ainsi qu’ils avaient été dupés par les Barbares et ils reprochèrent aux soldats
leur intempérance, parce qu’ils s’étaient montrés indociles envers eux, alors
qu’il était dans leur pouvoir de prendre un si grand nombre de Perses ainsi que
le fils de Glonès et la ville. Plutôt, ils s’étaient couverts d’une grande
honte en apportant de l’argent romain chez les ennemis et ils avaient pris
possession d’Amida en l’achetant aux Perses à prix d’argent. (24) Plus tard,
les Perses, pour qui la guerre avec les Huns se prolongeait, conclurent avec
les Romains un traité qui s’étendrait pour sept ans avec eux. Le Romain Céler
et le Perse Aspebedès ayant conclu le traité, les deux camps, chacun de leur
côté, rentrèrent à la maison et demeurèrent en paix. (25) Ainsi, comme il a été
dit, voici comment s’engagea la guerre entre les Romains et les Perses et
comment elle s’acheva. Je viens maintenant poursuivre avec le récit des
événements qui se sont déroulés autour de la Caspienne.
PROCOPE, Guerres perses, I.x.13-19 (tr. G.
Proulx, revue et corrigée par G. Greatrex)
(13) L’empereur Anastase, après avoir conclu le traité
avec Cabadès, fit construire une ville, à un endroit appelé Daras, une ville
extraordinairement forte et d’une valeur reconnue qui fut dotée du nom de
l’empereur (la ville reçut le nom d’Anastasiopolis). (14) Cette ville se trouve
à une distance de 98 stades de la ville de Nisibis et d’environ 28 stades de la
frontière entre les territoires romain et perse. (15) Les Perses s’empressèrent
d’empêcher la construction mais, parce qu’ils étaient accablés par la guerre
avec les Huns, ils n’eurent aucun impact. (16) Après avoir dissout rapidement
cette guerre, Cabadès, dans un envoi, accusa les Romains d’avoir édifié une
ville très proche de leur frontière, bien que ceci soit défendu dans les
traités convenus auparavant entre les Mèdes et les Romains. (17) Alors,
Anastase, le menaçant d’une part et, d’autre part, lui proposant son amitié en
lui offrant de l’argent sans mesquinerie, désira le convaincre et dissoudre
l’accusation. (18) De plus, l’empereur fit construire une autre ville en
Arménie, similaire à la première, tout près de la frontière de la Persarmenie.
À cet endroit se trouvait jadis un village antique qui reçut, de la part de
l’empereur Théodose, le statut de ville, du moins en ce qui concerne son nom,
et il commémora [ainsi] son nom. (19) Mais Anastase le fit entourer d’un mur
très puissant, et se montra ainsi aux Perses non moins offensant qu’avec
l’autre ville car, des deux côtés, se trouvaient maintenant des remparts élevés
contre leur territoire.
PROCOPE, Guerres perses, I.xi (tr. G. Proulx,
revue et corrigée par G. Greatrex)
(1) Lorsqu’Anastase mourut peu après, Justin obtint le
trône, ayant écarté toute la famille d’Anastase du commandement, même si elle
était nombreuse et fort distinguée. (2) Alors, une inquiétude troubla Cabadès à
l’effet que les Perses tentent de se révolter contre sa maison aussitôt qu’il
terminera sa vie, parce qu’il avait l’intention de passer le pouvoir à un de
ses fils, ce qui ne se passerait sans contestation. (3) La loi appelait au
trône l’aîné de ses fils, Caosès, en raison de son âge, mais il ne plaisait pas
du tout à Cabadès. L’opinion du père ferait alors violence à la loi naturelle
et à la coutume. (4) D’un autre côté, la loi écartait [du pouvoir] Zamès, le
deuxième en âge, qui avait un de ses yeux crevé, car il est contre la loi de
n’avoir qu’un œil ou quelque autre mutilation pour siéger au trône des Perses.
(5) Quant à Chosroès, qui lui était né de la sœur d’Aspebedès, le père le
chérissait énormément mais, constatant qu’à peu près tous les Perses se
disaient saisis d’admiration pour Zamès à cause de sa bravoure [il était doué
pour la guerre] et vénéraient aussi ses autres vertus, il craignit qu’ils se
soulèvent contre Chosroès et causent un tort irréparable à sa descendance et à
la royauté. (6) Il lui sembla donc qu’il était mieux de mettre fin à la guerre
et aux causes de la guerre avec les Romains, à la condition qu’il puisse faire
de Chosroès l’enfant adoptif de l’empereur Justin, car seule cette stratégie
pouvait maintenir la stabilité du régime pour lui. Pour ce faire, il envoya des
ambassadeurs et une lettre à l’empereur Justin à Byzance. (7) L’écrit laissait
entendre ceci :
«Nous
avons été victimes d’injustices de la part des Romains, comme vous le savez,
mais je pense abandonner complètement toutes les plaintes contre vous. Je suis
conscient que les plus victorieux des hommes sont ceux qui, ayant la justice de
leur côté, se laissent volontairement être défaits et vaincus par des amis. (8)
Or, en retour de cela, je vous demande quelque faveur qui nous liera ensemble,
non seulement nous-mêmes, mais aussi tous nos sujets, par des liens de parenté
et dans la bienveillance qui en découlera, et qui parviendra à [les] combler
des bénéfices de la paix. (9) Ainsi, je vous demande que vous fassiez de mon
fils Chosroès, qui est mon successeur au trône, votre fils adoptif».
(10)
Lorsque le message fut rapporté et vu par l’empereur Justin, ce dernier, ainsi
que son neveu Justinien (celui qui était censé lui succéder au trône) en furent
ravis. (11) Rapidement, ils se hâtèrent à dresser par écrit l’acte d’adoption
de façon conforme à la loi romaine. Mais Proclus, qui siégeait auprès de
l’empereur et occupait le poste de celui qui est appelé questeur et qui était
un homme juste et certainement le plus incorruptible, l’en empêcha. (12) Ainsi,
il n’écrivait pas volontairement de nouvelle loi, ni ne voulut changer ce qui
était déjà établi, mais il s’éleva alors contre [cette situation] en parlant
ainsi :
(13)
«Entreprendre de nouvelles actions n’est pas dans mon habitude, et je les
crains même plus que toutes les autres, sachant bien que dans la nouveauté, la
sécurité n’est aucunement préservée. (14) Il me semble qu’une personne tout à
fait courageuse dans cette affaire reculerait devant cette proposition et
tremblerait de peur en pensant à l’agitation qui en résulterait. (15) Je crois
qu’on ne discute de rien d’autre à présent que de la façon dont on pourra
transférer l’empire des Romains aux Perses par un beau prétexte. Ils [les
Perses] ne s’en cachent pas, ni ne se servent de prétextes. En termes précis
(et de façon unanime), ils soutiennent sans réserve la volonté de nous enlever
le trône en affichant un air de naïveté sans masquer la nature évidente de la
ruse et en manifestant une apparente inertie pour voiler leur discours
impudent. (16) Or, chacun de vous devrait repousser cette tentative des
Barbares par tous les moyens : vous, Ô Empereur, quoique vous ne soyez le
dernier des empereurs et vous, Ô Général, en ne plaçant pas devant vous un
obstacle au trône. (17) Le plus souvent, les ruses sont cachées sous un
discours majestueux et nécessitent, pour la plupart des gens, un interprète.
Mais cet envoi, d’entrée de jeu, veut directement et ouvertement accorder à
Chosroès, qui qu’il soit, le statut d’héritier adoptif de l’empereur romain.
(18) Vous devez raisonner ainsi, selon moi : par nature, les pères doivent
[leur héritage] à leur fils. Si les coutumes sont toujours différentes entre
les hommes et s’opposent entre elles, chez les Romains et les Barbares elles
s’unissent et s’accordent en désignant les fils comme étant les maîtres de
l’héritage du père. Il vous reviendra, dans le cas où vous choisissez la
première proposition, d’assentir à toutes les conséquences».
(19) Ainsi parla Proclus. L’empereur et son neveu
acceptèrent ce discours et délibérèrent sur ce qui devait être fait. (20)
Pendant ce temps, Cabadès envoya aussi une lettre à l’empereur Justin lui
demandant de lui envoyer des hommes estimés pour qu’il puisse établir la paix
avec lui et lui indiquer par écrit la manière dont il voudrait procéder pour
l’adoption de son fils. (21) Encore plus qu’avant, Proclus accusa la
proposition des Perses en soutenant qu’ils tentaient de revendiquer le pouvoir
romain de la façon la plus sûre pour eux. (22) Il fit connaître son opinion
là-dessus : la paix devrait aussitôt être conclue avec eux et, pour ce
faire, des hommes parmi les meilleurs devraient être envoyés par l’empereur.
Lorsque Cabadès chercherait à s’informer au sujet de la demande d’adoption de
Chosroès, ils devraient lui répondre en termes précis qu’elle serait exécutée
comme il convient aux Barbares, en voulant montrer ici que les Barbares
n’adoptent pas les enfants par des documents écrits mais par les armes. (23)
Donc, l’empereur Justin envoya les ambassadeurs, en promettant que les hommes
les plus nobles parmi les Romains les suivraient sous peu et qu’ils régleraient
de la meilleure façon [les questions] concernant la paix et Chosroès. (24) Il répondit aussi à Cabadès à ce sujet.
Ainsi, furent envoyés par les Romains Hypatius, le neveu d’Anastase (l’empereur
précédant), un patricien qui avait aussi la fonction de général d’Orient, et
Rufinus, le fils de Silvanus, un homme estimé parmi les Patriciens et connu de
Cabadès de par leurs pères. (25) Des Perses, ils assistèrent un homme des plus
puissants et ayant une grande autorité, nommé Séosès, en qualité d’adrastadaran
salanes, et Mébodès, qui détenait la fonction de magiste. (26) Ils se réunirent
à un endroit situé à la frontière des territoires romain et perse, se
rencontrant dans le but de mettre fin à leurs différends et de bien arranger
les modalités de la paix. (27) Chosroès se rendit au fleuve Tigre, éloigné de
la ville de Nisibis par une distance d’environ deux jours, pour qu’il puisse,
lorsque les modalités de la paix sembleraient être au mieux pour les deux
camps, se rendre lui-même à Byzance. (28) Plusieurs discussions furent tenues
par les uns et les autres au sujet de leurs différences, notamment Séosès
évoqua [la question] du territoire de Colchide (aujourd’hui appelé Lazica) et
dit qu’il était à l’origine soumis aux Perses mais fut pris de force par les
Romains sans aucune raison. (29) Ayant entendu cela, les Romains furent
indignés que les Perses soulèvent même la question de la Lazique. De leur côté,
lorsqu’ils déclarèrent qu’il fallait faire l’adoption de Chosroès de la façon
qui convenait aux Barbares, cela apparut aux Perses comme étant inacceptable.
(30) Donc, les deux camps se séparèrent et rentrèrent à la maison et Chosroès,
n’étant arrivé à rien, se mit en route pour retourner chez son père. Il
éprouvait une vive colère par rapport à cette rencontre et souhaitait faire
payer les Romains pour leur insolence envers lui.
(31) Par la suite, Mébodès dénonça Séosès auprès de
Cabadès, l’accusant d’avoir volontairement, et sans l’autorisation de son
maître, soulevé la question de la Lazique (ce qui nuisait à la paix) et de
s’être d’abord entretenu avec Hypatius, qui ne démontrait absolument pas de
bienveillance pour les intérêts de son propre empereur et qui ne laissait pas
se concrétiser la paix et le projet d’adoption de Chosroès. Plusieurs autres
blâmes furent portés à l’endroit de Séosès par ses détracteurs et il fut appelé
à comparaître en justice. (32) Alors, le conseil perse au grand complet se réunit
pour prononcer une sentence, davantage par jalousie que conformément à la loi,
probablement parce qu’ils [les Perses] éprouvaient une irritation considérable
à l’égard de sa fonction (inhabituelle pour eux) et ils n’appréciaient point
son attitude. (33) Quoique Séosès fût très incorruptible et celui qui se
souciait le plus scrupuleusement de la justice, il souffrait de la maladie de
l’arrogance, de façon incomparable aux autres hommes. Cette arrogance semble
être naturelle pour ceux qui exercent des fonctions parmi les Perses, mais chez
Séosès, même les Perses croyaient que la pathologie avait atteint son sommet.
(34) Les accusateurs affirmèrent donc ce que je viens de présenter, et que la
volonté de l’homme n’était absolument pas de vivre de façon conforme aux mœurs
établies ni d’obtempérer aux usages des Perses. (35) En effet, il vénérait des
divinités bizarres et, peu de temps auparavant, lorsque sa femme mourut, il
l’enterra et ce, malgré qu’il est interdit par les coutumes perses de cacher
sous terre les corps des défunts. (36) Les juges condamnèrent donc l’homme à
mort. Quoique Cabadès, en tant qu’ami, semblait compatir avec Séosès, il ne
consentit aucunement à le sauver. (37) Néanmoins, il ne fit pas connaître qu’il
éprouvait un sentiment contre lui mais, dans un discours, il expliqua qu’il ne
voulait pas l’exempter des lois perses et ce, même s’il devait à Séosès la
rançon de la vie, car il était à l’origine du fait qu’il soit vivant et qu’il
soit roi. Ainsi, Séosès fut condamné et disparut du monde des hommes. (38) La
fonction qui commença avec lui mourut aussi avec lui; aucun autre homme ne
devint adrastadaran salanes. Rufinus dénonça aussi Hypatius à l’empereur. (39)
L’empereur le retira donc de sa fonction et fit torturer certains de ses amis, mais
trouva qu’il n’y avait rien de fiable dans l’accusation. On ne fit cependant
aucun autre mal à Hypatius.
Tous les
droits réservés, 2004.
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